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JCC 2022 : Érige Sehiri dans un huis clos tourné « Sous les Figues »

Publié le mardi, 01 novembre 2022 | 13 min | Culture
  • Après avoir fait le tour des festivals internationaux, « Sous les Figues » de la réalisatrice franco-tunisienne Érige Sehiri débarque aux Journées Cinématographiques de Carthage (JCC) 2022 et concoure pour le Tanit d'or, la plus haute distinction décernée au meilleur film de la compétition des longs-métrages de fiction.

    En prévision de sa sortie le 6 novembre, trois projections sont programmées aux JCC pour ce film dont l'avant-première nationale a eu lieu lundi soir, 31 octobre, au Théâtre de l'Opéra. Érige Sehiri y explore l'univers de femmes et d'hommes « Sous les Figues » dans un huis clos d'une heure trente.

    Par une matinée assez ordinaire, commence la journée de femmes et d'hommes dans la zone du Nord-Ouest tunisien. Sur une route au milieu de nulle part, comme chaque jour, ils sont debout depuis l'aube. Les visages figés, ils attendent le véhicule qui les emmène vers leur lieu de travail, en cette saison estivale et la période de la récolte des figues.

    Au moment où ses autres collègues sont tous dans partie arrière de la vieille camionnette, Fidé, -un rôle interprété par Fidé Fedhili dont l'image figure dans l'affiche du film-, a le privilège de monter aux côtés du chauffeur qui n'est autre que leur patron. Le duo entretient une relation d'amour à ses débuts qui attise la jalousie des copines et la critique des plus conservateurs dans l'équipe.

    Les bavardages et les querelles occupent le temps de ce gens qui passent leurs journées au travail ce qui, en même temps, crée entre eux une forme de complicité ; des secrets inavoués, des larmes difficiles à retenir et des moments de partage autour d'un plat fait maison.

    Le tournage a eu lieu sur une journée dans la région de Makthar à Siliana. Un huis-clos entre les branches des figues à travers lequel se dessine une toile de vies jamais racontées. Des histoires d'amour et de haine, de confiance et de promesses rompues pour des catégories d'âges unies par un destin quelque part identique.

    La récolte des figues est un travail qui requiert une extrême finesse dans la façon de déplacer les branches assez fragiles et de ne cueillir que le pièces mûres de ce fruit qui doit être tendre au toucher.

    Sur les hauteurs des vergers, Érige Sehiri a choisi d'entrainer le spectateur dans un milieu peu visible sur grand écran, celui des travailleurs et travailleuses agricoles qui vivent des conditions de travail assez pénibles et une vie en marge des progrès qui se passent dans le monde.

    La caméra fait immersion dans l'univers de femmes et d'hommes dont le premier souci est de s'offrir quelques sous pour survivre. La précarité de ces gens est chronique.

    L'histoire de Fidé qui est parmi d'autres n'est qu'un alibi pour cette fiction cherchant à lever le voile sur un univers rarement exploré dans le cinéma mais par une telle finesse et une esthétique visuelle qui sort de l'ordinaire. Les plans rapprochés et les expressions des visages témoignent d'une sensibilité artistique qui porte la signature d'un cinéma féminin assez remarquable.

    Coscénarisé par Érige Sehiri et Peggy Hamann, Sous les Figues porte un regard critique mais assez discret à l'égard d'un monde injuste et un régime sociétal patriarcal dans lequel la femme dont Fidé incarne l'image, n'est pas prête à renoncer à ses droits.

    Le film ne se concentre pas sur un seul personnage principal, chaque rôle à son importance. La réalisatrice l'a bien confirmé à l'avant-première de son film, lundi à la salle Africa, qui abrite les projections de presse des longs métrages de fiction en compétition officielle des JCC.

    Elle dit avoir « voulu sortir de l'écriture scénaristique classique ». Plusieurs histoires cohabitent ensemble dans ce qu'elle appelle « une sorte de bulle » où le spectateur rentre dans le monde des divers protagonistes. Une expérience inédite pour ces acteurs non professionnels qui eux aussi rentrent dans une nouvelle expérience devant la caméra et le monde du 7ème art.

    Érige Sehiri a donné la voix à ceux qui n'ont jamais eu de voix dans un monde qui ne privilégie pas les classes vulnérables. Sa démarche traduit une orientation vers un nouveau cinéma porteur d'une esthétique et un traitement assez subtile d'une question très locale mais assez universelle.

    Le film évoque les droits des travailleurs dans l'agriculture, généralement des femmes, un sujet qui est toujours d'actualité en Tunisie puisque les conditions de travail pour ces catégories marginalisées n'ont pas la chance de changer d'aussi tôt.

    Des chants populaires figurent aussi dans cette fiction dont la bande sonore porte la signature du célèbre compositeur Amine Bouhafa et la collaboration du duo Nour et Selim Argoun.

    Sous les Figues est une coproduction internationale de 2022 entre la Tunisie, la Suisse, la France et le Qatar. A la 54èmeQuinzaine des Réalisateurs, section non compétitive du Festival de Cannes, il a remporté le prix Ecoprod qui récompense pour la première fois un long-métrage présenté à Cannes et produit par la manière la plus éco-responsable possible.

    Après cette distinction, Sous les Figues était sélectionné au Festival international du film de Toronto (Tiff) et au London Film festival (BFI).

    Under the Fig Trees, titre en Anglais, candidat Tunisien aux 95èmes Academy Awards, sera peut-être sur la liste des nominés, dans la catégorie International Feature Film, à la cérémonie des Oscars prévue à Los Angeles le 12 mars 2023.

    Après son documentaire La Voie Normale en 2018, Erige Sehiri enregistre un retour en force sur les devants de la scène cinématographique par un second long métrage qui aspire à deux distinctions des plus convoitées, l'une en région arabe et africaine et l'autre d'envergure internationale.

JCC 2022 : Érige Sehiri dans un huis clos tourné « Sous les Figues »