L'égoïsme est l'avenir de l'homme. Face au réchauffement climatique qui constitue un des plus grands défis collectifs de notre temps, la réponse des nations est un grand jeu de la patate chaude. Chacun a une excellente raison de demander à son voisin de faire l'effort le premier, qui parce qu'il a un niveau de vie à préserver, qui parce qu'il a une économie à faire décoller, qui parce qu'il a du pétrole à exploiter. Le protocole de Kyoto sur la réduction des gaz à effet de serre a échoué et son successeur est mort-né. Chacun préserve ses intérêts particuliers et tous foncent vers une fin de siècle à +2 ou +3°C et des siècles suivants encore plus chauds. A moins que...
Le scientisme est l'avenir de l'homme. Le sauveur s'appelle ingénieur. Nous avons (involontairement) manipulé le climat dans un sens, nous pourrions le manipuler dans l'autre. D'où la tentation de la géo-ingénierie, cette idée qui consiste à contrebalancer le changement climatique soit en ensemençant les océans en fer pour stimuler le plancton et lui faire engloutir plus encore de dioxyde de carbone, soit en vaporisant du soufre dans l'atmosphère afin qu'elle renvoie une partie des rayons solaires, ce qui aurait pour effet de faire baisser la température planétaire. Mais, outre que l'on voit difficilement qui pourrait décider, au nom de l'humanité entière, de mettre en œuvre ce genre de solution, les réticents sont nombreux qui se demandent si la potion ne s'avèrerait pas pire que le mal. Mais l'apprenti sorcier a d'autres tours dans son sac...
Le post-humanisme est l'avenir de l'homme. Pourquoi ne pas tenter la même démarche, non plus sur le système océan-atmosphère mais sur nous-mêmes ? La question a été posée au début de l'année dans un texte de trois philosophes-éthiciens publié sur Internet. S. Matthew Liao, Anders Sandberg et Rebecca Roache y expliquent que, dans la lutte contre le réchauffement climatique, il faut songer à une tierce voie : l'homo-ingénierie. Faisons évoluer artificiellement l'être humain pour qu'il consomme moins de ressources et que soit ainsi diminué son impact écologique. Première voie à explorer : tout comme le professeur Tournesol rend, dans Tintin et les Picaros, le capitaine Archibald Haddock allergique à toute forme d'alcool, on peut chimiquement faire en sorte de rendre écœurantes les protéines animales. Exit les élevages intensifs et leur cruauté, les pets et rots de vaches pleins de méthane, le défrichement de la forêt amazonienne pour faire pousser du soja transgénique destiné à nourrir les bêtes, le détournement des cultures et de l'eau au profit des animaux de boucherie. Mais il y a mieux encore...
Le nanisme est l'avenir de l'homme. Le métabolisme de base étant directement proportionnel à la taille, les petits consomment et dépensent moins de calories que les grands. Sélectionnons donc, par le biais du diagnostic pré-implantatoire, les embryons génétiquement prédestinés à devenir de petits adultes. Tu seras un lilliputien végétalien mon fils. Tu conduiras un pot de yaourt, tu vivras dans une maison de poupée, tu boiras moins, tu pisseras moins, tu feras tout moins. On baissera les panneaux de basket, la hauteur des filets de tennis, on réduira la taille des buts au football et la longueur des pistes d'athlétisme pour que le sprint dure toujours moins de 10 secondes. Le petit sera beau, exemplaire, sexy et les conseillers du président de la République se débrouilleront pour entourer le chef de l'Etat d'ouvriers plus grands que lui lors de ses visites dans les usines. Dans leur article, Liao, Sandberg et Roache imaginent aussi des traitements hormonaux destinés à susciter plus d'empathie et de comportements altruistes chez Homo sapiens, ce afin de l'inciter à penser davantage aux êtres vivants, humains ou pas, qui souffrent des agressions qu'il perpètre contre la nature. L'heure serait-elle donc aux hommes et femmes améliorés ?
Le darwinisme est l'avenir de l'homme. Pour Pascal Picq, paléoanthropologue au Collège de France, le concept d'homo-ingénierie « part du présupposé qu'on est arrivé à une espèce de terme, que l'homme ne peut plus évoluer. Elle oublie que l'évolution met en exergue des ressorts insoupçonnés, qui ne se sont pas encore révélés mais sont présents dans les potentialités de nos gènes. Cette approche de démiurge ou d'ingénieur veut améliorer l'homme au-delà de son état de nature mais elle risque surtout de conduire à une perte de diversité de notre espèce. » Même si on parvient à écarter la tentation eugéniste sous-jacente à l'homo-ingénierie, reste que cette démarche dans laquelle l'homme veut prendre en main de manière artificielle sa propre évolution témoigne d'une crainte troublante : nous avons peur de ne pas pouvoir nous adapter au monde que nous avons nous-mêmes créé.